Si tout le monde connaît l’histoire tragique des amoureux de Vérone, peu de personnes se souviennent de cet opéra écrit par Boris Blacher, compositeur allemand, dans les années 40. C’est pourtant une version condensée qui nous offre une vision à la fois sombre et légère de ce grand classique Shakespearien. Avec du classique, du moderne, du sombre, de l’obscur, de l’humour, de la tristesse, cet opéra surprend, interroge, et inspire.
Tout commence avec le son jazzy du piano et une nourrice sous un nouveau jour : une chanteuse de cabaret qui nous accompagnera tout au long du récit. Les lumières s’allument sur un décor obscur, constitué d’un panneau en toile et en forme d’oeil qui peu à peu s’ouvrira sur l’arrière scène et l’orchestre. On rencontre ensuite le peuple, celui qui pâtit de la querelle qui oppose Montaigu et Capulet. Dans une ambiance clandestine, ils utilisent des affiches sur les murs, les taguer, les déchirer… Arrive ensuite la belle et jeune Juliette, claire et pure comme un lever de Lune, avec une voix et un chant qui reflètent la douceur et l’innocence de son personnage. Déboulent ensuite en cascade les événements et moments clés de la pièce : le bal et la rencontre entre les jeunes amants, la déclaration au balcon, le duel Capulet / Montaigu, le plan voué à l’échec du prêtre (transformé en une bande de scientifiques douteux) et bien sûr celle de la mort des amants et le désespoir des familles.
Un condensé de désespoir
Les scènes ont beau être superposées, raccourcies ou résumées par le compositeur, cette simplification n’enlève en rien son intensité à l’histoire. Bien au contraire : si l’on perd quelques moments de relâches émotionnelles et certaines subtilités de la fable, la pression monte de son côté sans répit, jusqu’à la fin fatidique. Il en va de même pour la composition de l’orchestre : l’ensemble réduit à une dizaine de musiciens à la fois joue et intervient dans la pièce, s’avançant sur l’avant scène en foule amusée, en commentateurs, ou public impuissant. Ils se joignent ainsi aux interprétations bouleversantes des protagonistes. Incarnant plusieurs rôles en anglais et en allemand, les jeunes artistes lyriques redoublent de talents et nous offrent un mariage poétique entre la haine et l’amour, le clair et l’obscur, la douceur et la violence, la chasteté et la grossièreté.
Comme nous explique Emmanuel Calef en pré-propos, Blacher est influencé par plusieurs styles et techniques, et est parvenu à créer une unité grâce à des techniques simples comme l’oscillation entre deux notes, l’ostinato (la répétition en cellules) et les harmonies classiques avec leurs accords parfaits nuancés par des notes dissonantes qui appuient le tragique de la situation. Tout cela s’inscrit à merveille dans la situation tendue et inextricable de ces amants victimes de l’histoire de leurs familles.
Comme avec la musique qui marie jazz et traditions, on trouvera dans la mise en scène de Jean Lacornerie des références multiples qui ne sont pas sans rappeler les intentions de Shakespeare et Blacher qui semblent utiliser le romantisme comme excuse ou alibi à la dénonciation politique. Le mur qui se dresse entre la salle, la scène publique et l’arrière scène représente telle une frontière entre la vie du peuple et l’effervescence de la caste supérieure. Une pluralité de sens qui exalte le stress et le désespoir des amants de Vérone, dans cette explosition d’émotions passionnelles.
Roméo et Juliette
de William Shakespeare
Opéra
Mise en scène : Jean Lacornerie
Avec : l’Orchestre et les Chanteurs du Studio de l’Opéra de Lyon : Alexandre Pradier (Roméo), Erika Baikoff (Juliette), Eira Huse (Lady Capulet), Andrew Henley (Tybalt), Timothy Murphy (Capulet, Benvolio), April Hailer (la diseuse, la nurse, Peter), Anna Cavaliero (soliste)
Composition : Boris Blacher
Direction musicale : Emmanuel Calef
Danseurs : Alexandre Hernandez, Nicolas Diguet
Décor : Lisa Navarro
Costumes : Robin Chemin
Lumières : David Debrinay
Chorégraphie : Raphaël Cottin
Photo : © Stofleth
Publié le 11 février 2019 : http://ruedutheatre.eu/article/4044/romeo-et-juliette/
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