Ubuesque Goutard, ennemi de l’art


© Victor Tonelli

Comment un homme peut-il arriver à détester l’art au point de vouloir l’interdire à tous ? C’est ce que propose de nous expliquer ‘La loi des prodiges’ avec ce magnifique seul en scène. On y rencontre une vingtaine de personnages joués avec une justesse impressionnante qui tissent devant nous l’histoire de Rémi Goutard, le grand ennemi de l’art. Un pot pourri sociétal où sont représentés toutes classes, âges, sexes, sur un ton humoristique, un fond de dénonciation, à la frontière entre la folie et le génie.

La scène s’éclaire sur la genèse de l’histoire Goutard : la naissance de Rémi. D’un geste, d’une intonation, d’un froncement de sourcil, François de Bauer interprète tour à tour la mère en plein travail, la jeune et innocente sage femme et le médecin. Un rythme étourdissant qui nous suivra tout au long de la pièce.

Les tableaux s’enchaînent formant le puzzle de la vie de Rémi, et de son dégoût pour les artistes. Son éducation avec un père scénariste schizophrène absent, son premier amour qui le traîne dans un musée dans lequel les toiles lui semblent plus difficiles à apprécier qu’à peindre, et ce personnage détestable qui le suit tout au long de sa vie : Régis Duflou, plasticien égocentrique de renom.

Comment comprendre l’art et son importance quand l’art a gâché sa vie ? Pour quelqu’un qui ne se souvient pas de ses rêves, le choix est clair : il faut l’interdire. Rémy Goutard crée alors un monde imaginaire où toute velléité artistique est réprimée et où les marginaux se doivent de se réintégrer.

Mais n’est ce pas aussi être artiste que de vouloir construire cette société fantasmée ? En totale perdition dans ses principes, il semble que le fond du problème soit finalement, comme souvent, l’absence d’un père et l’amour déçu. Arrive alors le règne de Rémi Goutard, un empereur fou et froid qui n’est pas sans rappeler Ubu Roi. Prisonnier de ses émotions, l’art ne semble pouvoir l’en délivrer. Le rêve devient alors le seul moyen d’y arriver.

Mis en scène avec seulement quelques chaises et travaillé sous forme de tableaux de vie, ce spectacle a été conçu par une série d’improvisations toutes plus loufoques les unes que les autres. François Bauer parvient pourtant à ne pas tomber dans le ridicule, en gardant le sérieux d’un comédien talentueux qui sait interpréter à la fois la mère et l’enfant, le politicien et l’artiste, le clochard et le bourgeois, l’amour et la haine, le rire et les larmes. Un très beau moment qui résonne en chaque figure qui cohabite en nous.

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Publié le 5 octobre 2019 : http://ruedutheatre.eu/article/4209/la-loi-des-prodiges-ou-la-reforme-goutard/

La loi des prodiges (ou la réforme Goutard)
de François de Brauer
Mise en scène : François de Brauer

Avec : François de Brauer
Collaboration artistique : Louis Arene, Joséphine Serre
Lumières : François Menou
Costumes : Christelle André
Régie générale : François Menou, François Hubert (en alternance)
Production : Compagnie des Petites Heures