Tatiana Frolova (auteure, comédienne et metteur en scène) nous propose une allégorie où le froid représente le mensonge, et la Russie, une banquise géante. Au travers de témoignages, de discours et de légendes, elle dresse une critique intelligente sur son pays. Une pièce riche dans son texte et sa scénographie, guidée par une réflexion engagée, pointue et poétique.
Si penser c’est analyser les événements et en tirer des conclusions, le froid semble glacer les esprits et gèle consciences et mémoires. Dans le cadre du Festival ‘Sens Interdits’, nous voyageons dans une Russie figée, où la propagande fait encore rage et où les gens au dehors sont des ennemis. Le rideau de fer – au sens propre – s’ouvre sur un décor qui évoluera tout au long de la pièce. Une mise en scène impressionnante mêlant vidéo, projections, sons et lumières, arts plastiques en tous genres, musiques, et danses.
D’un début plutôt calme, en accord avec le plateau à première vue simple, on arrivera à des tableaux intenses à l’instar des histoires contées et des témoignages récoltés. Un quotidien issu d’un passé traumatisant décrit avec talent par cette troupe d’artistes contemporains. Passant d’un discours de Poutine à l’histoire d’une ville sibérienne, ou encore du conte de la Reine des Neiges au souvenir nostalgique d’une grand-mère pro-Lénine, ces comédiens font preuve d’une énergie et inventivité impressionnantes.
“L’Antarctique c’est comme la Russie, mais avec des pingouins.”
A première vue anarchique, cette pièce propose pourtant plusieurs fils rouges dessinant une dénonciation politique profonde. L’un d’entre eux tourne autours de cette petite ville de Komsomolsk-sur-Amour. On y découvre des habitants figés sur leurs positions, qui refusent de croire que leurs murs ont été construits par les prisonniers des Goulags.
C’est de là que nous vient cette compagnie indépendante du Théâtre KnAM connu pour transformer la scène en espace d’expériences. Les comédiens de tous âges nous expliquent que dans leur pays au froid persistant, les mythes ne sont jamais loins. Nous est conté ici celui de la suprématie des peuples, du confort, de la liberté auquel croient les “camarades” de pays sous dictature.
En plus que de dénoncer, “Ma Petite Antarctique” nous alerte sur le danger du froid. Les médias modernes et réseaux sociaux offrent à la propagande un nouveau désert de glace dans lequel peuvent se perdre les jeunes générations. Un succès pour cette pièce résolument moderne, remplie de métaphores pleines de sens, qui sera parvenue à nous faire entendre le bruit du vent polaire.
Publié le 20 octobre 2019 : http://ruedutheatre.eu/article/4218/ma-petite-antarctique/
Ma petite Antarctique
de Tatiana Frolova
Théâtre
Mise en scène : Tatiana Frolova / Théâtre KnAM
Avec : Dmitrii Bocharov, Vladimir Dmitriev, Tatiana Frolova, German Iakovenko, Ludmila Smirnova
Son : Vladimir Smirnov
Création lumière : Tatiana Frolova
Régie générale : Sylvain Ricci
Vidéo : Tatiana Frolova, Dmitrii Bocharov, Vladimir Smirnov
Textes français, surtitrage : Bleuenn Isambard
Textes anglais : Bleuenn Isambard & Keren Rosen
Matière documentaire, textes, images, entretiens, témoignages, extraits d’articles, études, ouvrages historiques et mémoriels collectés par les artistes du Théâtre KnAM
Durée : 1h40
Photo : © Sonia Cova
Production : Théâtre KnAM
Production déléguée : Célestins (Lyon)
Co-production : Célestins, Théâtre de Lyon, Festival Sens Interdits
Soutien : Onda, Office national de Diffusion artistique
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