Sublimer la mégalomanie


© Fabien Cavacas


La famille de théâtreux Bruscon prépare sa grande première dans la salle de spectacle d’un village autrichien dont on ne retiendra jamais le nom. On va y vivre une journée d’un cynisme délicieux en compagnie d’un “comédien d’État” mégalomane au possible, entouré par sa famille haute en couleurs, et d’un benet d’hôtelier et sa fille. Entre répétitions et préparation du plateau, nous plongeons dans un univers drôle au possible, porté par un personnage qu’on aime à détester !


Une salle poussiéreuse et décorée par des “croûtes” au mur, des odeurs de campagne pestilentielles, des rideaux troués, une femme qui tousse, le pauvre Bruscon semble décidément maudit. Le voici avec toute sa famille dans ce “trou infame”, pour jouer ce qui semble être un grand chef d’oeuvre : une pièce faisant se rencontrer Churchill, Napoléon, Eisenhower ou encore Hitler. Dirigeant la mise en scène et le jeu de ses pauvres comédiens, Bruscon passe son temps à rabaisser ouvertement son entourage dans un manège de mots et de répétitions à la noirceur comique

Bruscon est la caricature de l’homme bourru, blasé, plaintif, détestable à souhait. Dans ce texte de Thomas Bernhard, satire exquise autrichienne, on retrouve dans sa solitude cet homme de théâtre entouré de ce qu’il appelle des “non talents”. Un chapelet de caractères drôles malgré eux : un technicien d’une bêtise excellemment bien jouée, une femme traumatisée par la méchanceté de son époux, des enfants tournés au ridicule, tous victimes du sadisme de Bruscon.

Et c’est bon ! Bon dans l’interprétation, bon dans les dialogues, bon dans les corps, les visages, les situations… On y retrouve dans ce personnage l’oncle, ou le grand père méchant et aigri, ce râleur charmant qu’on a tous un jour rencontré. On y croise la fille niaise mais gentille et dévouée, le fils qui presque sans un mot parvient à incarner un ado attardé et hyperactif, et la pauvre femme qui ne fait qu’en prendre pour son grade.

Dans cette comédie où André Marcon se plaît à nous déplaire, la misanthropie est à l’honneur. On assiste impuissants à la montée de la mégalomanie de son personnage drôle bien malgré lui. Un texte brillant sublimé par l’interprétation de toute une équipe dans un décor magnifique de théâtre en miroir, d’une musique volontairement dérangeante, et d’une présence négative au centre de tout : celle de Thomas Bernhard.

Publié le 11 avril 2019 : http://ruedutheatre.eu/article/4090/le-faiseur-de-theatre/

Le Faiseur de théâtre
de Thomas Bernhard
Mise en scène : Christophe Perton

Avec : André Marcon, Barbara Creutz, Jules Pelissier, Agathe L’Huillier, Éric Caruso, Manuela Beltran
Texte français : Édith Darnaud, L’Arche Éditeur
Scénographie : Christophe Perton et Barbara Creutz
Création son : Emmanuel Jessua
Création costumes : Barbara Creutz, assistée de Pauline Wicker