Le théâtre présenté comme remède aux jeunes.


La troupe des Sans Noms, dirigée par Damien Bricoteaux revisite le conte de “La Belle aux Bois Dormant”, jouant et chantant au rythme de la guitare et du piano. La modernisation de ce grand classique aborde des sujets tabous chez les jeunes, comme la dépression et l’anorexie. Un mélange des genres qui offre un spectacle étonnamment décalé toujours avec la magie du « Il était une fois »…

Roi et Reine rêvent d’avoir un enfant, quand un beau jour « Merveilleuse », prénommée finalement « Belle », vient au monde. Une grande fête a lieu, pendant laquelle sept marraines (sept comme les sept péchés capitaux, « ou les sept doigts de la main » !) lui offrent intelligence, talent et beauté. Comme dans l’histoire originelle, la méchante fée, ici tante Christiane, vexée de ne pas avoir été invitée, décide de maudire l’enfant, prédisant qu’elle se piquera avec la mine d’un stylo et mourra. Il restait bien évidemment le présent de cousine Babette qui décida que la petite sombrerait dans un profond mal être, jusqu’à ce qu’un prince charmant lui vienne en aide. Seize ans plus tard, la malédiction a lieu et la princesse n’a plus goût en rien, rejetant tout autour d’elle. Elle voit des choses que les autres ne voient pas. Une compagnie de théâtre, les « Sans Noms », arrive en ville et lui redonne un sens à sa vie. C’est un jeune comédien qui lui montre que l’art modifie la vision du monde. Le spleen de Belle lui passe définitivement quand elle monte son propre spectacle intitulé « Je vois des choses que vous ne voyez pas ».

L’auteur a reprit les éléments du conte légendaire, qu’elle a mixé avec des éléments contemporains et sa recette fonctionne à merveille. La royauté est remplacée par une bourgeoisie caricaturée, les qualités accordées à Belle font qu’« elle ira à l’ENA ou au Collège de France ». Les parents de Belle jettent tous les stylos en dehors du Royaume « on fera venir Emaüs ! », le prince Charmant est décrit par la jeune fée Babette, quelque peu éméchée par les kirs de la soirée, comme quelqu’un de « sexy », ou sinon quelqu’un qui a la beauté intérieure, « c’est relatif »…

Avec une mise en scène ingénieuse, faite d’objets divers et variés, d’ombres et de panneaux noirs, les quatre comédiens incarnent plus d’une quinzaine de personnages. Chacun d’entre eux porte un élément distinctif : la tante malfaisante un masque de la Comedia del arte, la troupe d’artistes des bérets, le roi un nez énorme avec des lunettes et Belle, bien sur, une jolie robe de princesse. Les enfants ne semblent pas avoir de mal à se repérer, ils rient, restent bouche bée et applaudissent chaudement à la fin du spectacle. Des sujets sensibles et modernes sont pourtant mis à jour : l’anorexie, le difficile passage de l’adolescence à l’âge adulte, l’envie de rien, le rejet de tout… La réponse à cela ? Pas seulement l’arrivée triomphante du prince : c’est le théâtre le réel sauveur.

« On échappe à l’imbécilité de la vie quotidienne »

En posant ici l’art comme réponse à ces maux, la pièce montre qu’il existe un échappatoire à cet état latent traversé par les jeunes. La troupe des Sans Noms chantent l’histoire avec entrain digne d’une comédie musicale. Piquée par un stylo « Waterman », Belle passe de l’enfance à l’adolescence pour enfin devenir femme, avoir un enfant et s’épanouir enfin, montrant le happy end idéal mais surtout plausible.
La magie féerique du conte (souvent pathétique et improbable) est remplacée par un synopsis moderne, avec des faits concrets et une histoire qui tient la route. C’est ainsi que la Belle ne dormira pas pendant des siècles, elle sera mal dans sa peau, comme nous pouvons tous l’être, vêtue d’un large pull noir si communément porté par les jeunes. Le théâtre montre à Belle et au public que « la vie sans vie n’en vaut pas la peine », une jolie introduction à l’univers théâtrale pour les jeunes.
Si les plus petits ne saisissent pas forcément toute la profondeur de la métaphore, ils s’émerveilleront devant un spectacle musical aussi dynamique que sympathique et articulé à la perfection par des artistes comédiens, musiciens et chanteurs. A noter la performance vocale et dramaturgique des quatre acteurs qui enchaînent les rôles avec une facilité déconcertante, avec une justesse remarquable et une énergie communicative.

Je vois des choses que vous ne voyez pas
de Geneviève Brisac
Mise en scène : Damien Bricoteaux
Avec : Alice Butaud, Mathieu Duméry, Anne-Camille Le Heuzey-Bansat et Geoffroy Rondeau (ou Guillaume Collignon)
Musique : Guillaume Bourdely et Mathieu Duméry
Lumières : Anne Coudret
Décor : Jérôme Prigent
Costumes : Sophie Porteu de la Morandière réalisés par Hiroko Miyagima
Durée : 1h
Photo : © Mathieu Morelle

Publié le 3 novembre 2009
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